Cet article examine la manière dont la militarisation actuelle des segments maritimes de la Nouvelle route de la soie chinoise est mise en œuvre en mer d'Arabie, et les conséquences qui en découlent sur le plan géopolitique, notamment pour les entreprises. Il s'agit de la deuxième partie d'une série, la première portant sur la militarisation en mer de Chine méridionale (Jean-Michel Valantin, "Militarisation de la nouvelle route de la soie chinoise (1ère partie)”, The Red Team Analysis Society, 13 mars 2017)

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Ici, les cas du Pakistan, de l'Iran et de Djibouti nous permettront de comprendre comment les autorités politiques, militaires et commerciales chinoises enchevêtrent les besoins et les intérêts économiques, politiques et militaires de la Chine dans la grande stratégie intégrée de la Nouvelle route de la soie.

Militarisation des segments de la mer d'Arabie

Militariser la durabilité du Pakistan

En 2015, le Pakistan et la Chine ont signé l'accord gigantesque connu sous le nom de "corridor Chine-Pakistan". Cet accord permet aux entreprises chinoises de construire des chemins de fer et des autoroutes depuis la région chinoise du Xinjiang jusqu'au port pakistanais de Gwadar, sur la mer d'Arabie, près de la frontière iranienne ("La Chine et le Pakistan signent un accord sur un gazoduc essentiel aux importations d'Iran”, Press TV, 21 avril 2015). Corridor économique Chine-PakistanEn échange, les entreprises énergétiques chinoises construisent des centrales à charbon et solaires au Pakistan, afin de contribuer à atténuer la crise structurelle de l'électricité dans ce pays. Ce deal repose sur la construction d'infrastructures de transport permettant d'atteindre les espaces d'extraction de ressources qui intéressent la Chine, en échange du développement d'infrastructures, d'investissements et de programmes d'intérêt pour le pays hôte (Valantin, "La Chine et la nouvelle route de la soie : la stratégie pakistanaise”, L'analyse de la Red Teamle 18 mai 2015).

Dans le même ordre d'idées, en janvier 2016, la Chine a remis deux navires militaires chinois, équipés de canons de pointe, à la marine pakistanaise (Behram Baloch, "La Chine remet deux navires au Pakistan pour la sécurité maritime”, Dawn, 16 janvier 2017). Ces navires sont basés dans le port de Gwadar (Ibid). Avec ces navires, la marine pakistanaise a les moyens de patrouiller et de sécuriser non seulement les zones maritimes du Pakistan, notamment pour les opérations de recherche et de sauvetage, mais aussi la route maritime du corridor économique Chine-Pakistan entre Gwadar et le golfe Persique, ces voies étant cruciales pour naviguer ensuite vers le détroit de Malacca et les villes côtières chinoises.

Iran : la satisfaction des besoins (militaires)

Cette dynamique se perpétue avec l'Iran (Jean-Michel Valantin, "L'Iran, la Chine et la nouvelle route de la soie”, L'analyse rouge (équipe), 4 janvier 2016).

Depuis 2013, les marines iranienne et chinoise développent des liens. Le 4 mars 2013, une flotte militaire iranienne, qui avait quitté le port iranien de Bandar Abbas, a accosté dans le port chinois de Zhangjiagang, après un voyage de quarante jours ("Sujet : Iran 24th La flotte se dirige vers le détroit de Malacca après l'arrêt des Chinois : Cmdr de la Navy”, Affaires pakistanaises, 7th mars 2013).

Le 5 mai 2014, le ministre chinois de la Défense Chang Wanquan a déclaré, lors d'une rencontre avec son homologue iranien Hossein Dehqan, que l'Iran était un "partenaire stratégique" de la Chine (Zachary Keck, "La Chine considère l'Iran comme un "partenaire stratégique”, File:Exercice naval iranien Velayat-90 par IRIN (5)Le diplomate, 06 mai 2014). Le 23 septembre 2014, cette déclaration a été suivie du premier exercice naval conjoint entre la marine chinoise et la marine iranienne, après l'accostage d'une flottille militaire chinoise au port de Bandar Abbas (Ankit Panda, "Exercice naval historique entre la Chine et l'Iran“, Le diplomate, 23 septembre 2014).

En décembre 2015, les chefs des marines chinoise et iranienne se sont rencontrés à Téhéran, afin d'élaborer et d'approfondir les liens de coopération (Saima Ali, "Sécurité maritime et coopération Pak-Chine”, L'Observateur du Pakistan, 4 décembre 2016).

Ces liens revêtent une importance stratégique pour la Chine en raison du détroit d'Ormuz, qui commande l'accès au golfe Persique. Ils se développent alors que la Chine et Téhéran ont signé un accord sur la nouvelle route de la soie, permettant aux navires chinois de décharger leur cargaison dans les ports du sud de l'Iran, d'où les cargaisons seront acheminées par voie terrestre vers l'Asie centrale et les pays européens."L'Iran et la Chine signent un accord sur la nouvelle route de la soie”, Press TV, 31 octobre 2016).

Naviguer sur le lac des pirates

De l'autre côté de la mer d'Oman, à Djibouti, la Chine construit une base navale, qui pourrait accueillir des navires civils et militaires, ainsi que des forces spéciales aux côtés des bases françaises et américaines (Jean-Michel Valantin, "La nouvelle route de la soie chinoise en Afrique”, The Red Team Analysis Society, Géopolitique Carte de la piraterie somalienne30 janvier 2017). Comme nous l'avons vu (ibid.), cette base est reliée à Addis-Abeba, capitale de l'Éthiopie, par un chemin de fer récemment reconstruit par une entreprise chinoise. Djibouti joue un rôle clé dans une ouverture de la Nouvelle route de la soie vers le nord de l'Afrique de l'Est, vers la mer Rouge et donc vers la mer Méditerranée par le canal de Suez (Shannon Tiezzi, "La "route maritime de la soie" en Chine : n'oubliez pas l'Afrique”, Le diplomate, 29 janvier 2015). Par cette démarche, les Chinois affirment notamment leur intention de protéger les navires chinois de la piraterie endémique qui sévit dans ces eaux, surnommées " le lac des pirates " (Valantin, "La piraterie somalienne : un modèle pour la vie de demain dans l'Anthropocène ?”, The Red Team Analysis Society, 28 octobre 2013).

La Chine adopte donc des moyens différents et très pragmatiques pour militariser certains segments importants de sa Nouvelle route de la soie maritime. En mer de Chine méridionale et à Djibouti, cette militarisation est directement mise en œuvre par l'Armée populaire de libération chinoise, tandis qu'elle prend la forme d'un renforcement des capacités avec la flotte pakistanaise et "simplement" de manœuvres conjointes avec l'Iran.

La signification stratégique chinoise de cette tendance à la militarisation de la route nationale de la mer.

La militarisation des nœuds et des segments de la Nouvelle route de la soie maritime, comme cela a également été souligné dans le cas de la mer de Chine méridionale, est profondément liée au fait que l'Empire du Milieu s'efforce de sécuriser son accès aux ressources naturelles (Michael Klare, Pouvoirs en hausse, planète en baisse, 2008). La signification stratégique fondamentale de cette tendance à la militarisation réside dans la volonté politique de sécuriser le flux de marchandises vers la Chine. Ce flux doit rester ininterrompu (Dambisa Moyo, La course aux ressources de la Chine et ce qu'elle signifie pour nous, 2012). Il faut donc se prémunir contre toute forme de perturbation, qui pourrait être provoquée par la coercition armée, les conflits ou la piraterie.

Ce besoin de sécurité découle du fait que le développement intérieur de la Chine dépend désormais de l'importation constante de matières premières. Par exemple, depuis 2013, la Chine est devenue le premier importateur de pétrole, avec 7,4 millions de barils par jour importés, alors que les États-Unis importent 7,2 millions de barils par jour ("La Chine est désormais le plus grand importateur net de pétrole et d'autres combustibles liquides au monde", Agence américaine d'information sur l'énergie, 2014). En outre, la Chine a également besoin de gaz naturel, de minéraux, d'eau et de nourriture, pour maintenir le rythme de croissance de son économie et, plus important encore, l'amélioration des conditions de vie de sa population forte de 1,4 milliard d'habitants. En effet, le développement et la croissance sociale et économique sont devenus la base même du contrat social en Chine et ses autorités politiques tirent leur légitimité de leur maintien (Loretta Napoloni, Maonomics, 2011).

La nouvelle route de la soie chinoise n'est rien d'autre que le "canal planétaire" mis en place par la Chine pour garantir et défendre les marchandises à une époque où les ressources naturelles s'épuisent de plus en plus.

Ainsi, sécuriser la Nouvelle route de la soie en la militarisant est un moyen d'assurer le flux mondial de marchandises dont ce pays gigantesque a besoin. En d'autres termes, la Chine est devenue une puissance mondiale, mais cela doit être compris du point de vue chinois : La Chine est, et a été, une "puissance de besoin" mondiale.

Cet immense besoin, qui découle de l'ampleur de la Chine et de la façon dont les différents besoins chinois en matières premières créent un système mondial de besoins, exige de protéger la "Ceinture unique, route unique". "OBOR" n'est rien d'autre que le "canal planétaire" mis en place par la Chine pour garantir et défendre les marchandises à une époque où les ressources naturelles s'épuisent de plus en plus.

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À propos de l'auteur: Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité de la Société d'analyse (d'équipe) rouge. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense, avec un accent sur la géostratégie environnementale.

Image en vedette : Des marines de l'Armée de libération du peuple (Marine) sont au garde-à-vous alors que le commandant de la flotte du Pacifique, le contre-amiral Gary Roughead, les salue après une démonstration des capacités de la brigade. 16 novembre 2006 . Photo du Corps des Marines des États-Unis par le Caporal suppléant J.J. Harper - Domaine public

Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

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