Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli

La militarisation de l'Arctique - Et alors ?

Au cours des dernières années, l'OTAN, les militaires américains et scandinaves ont multiplié les manœuvres nationales et régionales dans l'Arctique. Cela est particulièrement vrai en Norvège et dans la mer de Barents, très proche des frontières terrestres, aériennes et maritimes de la Norvège et de la Russie.

Le nombre de patrouilles aériennes et d'exercices militaires augmente d'année en année. Par exemple, le 20 octobre 2020, le destroyer américain Ross, guidé par des missiles, a effectué son troisième tour de l'année dans la mer de Barents (Thomas Nilsen, "Augmentation du nombre de jets brouillés de l'OTAN en provenance de Norvège”, L'Observateur indépendant de Barentset "US warship returns Barents Sea", 14 septembre et octobre 2020).

Ceci fait suite à l'installation du Commandement Atlantique de l'OTAN sur la base navale de Norfolk, en septembre 2020. La zone de responsabilité de ce nouveau commandement est la protection des voies maritimes européennes et nord-américaines.

Parmi eux, on trouve le fossé Groenland - Islande - Royaume-Uni (GIUK) vers et depuis l'Arctique. En d'autres termes, la mission du Joint Force Norfolk Command est de projeter la puissance des États-Unis et de l'OTAN dans l'Arctique (Levon Sevuts, "Le nouveau commandement atlantique de l'OTAN veille sur l'Arctique européen”, L'Observateur indépendant de Barents18 septembre 2020).

Cet intérêt actuel des États-Unis et de l'OTAN pour l'Arctique, en particulier en ce qui concerne la partie européenne et russe, apparaît comme une réponse à l'intensification du développement économique et militaire de l'Arctique mené par la Russie et par un nombre croissant de pays asiatiques, principalement la Chine.

Cependant, si la présence croissante de l'armée américaine et de l'OTAN augmente le niveau de gesticulation militaire, il faut se demander si cette présence militaire est vraiment à la hauteur du développement stratégique russo-chinois de l'Arctique.

D'un point de vue occidental, certaines entreprises privées européennes, américaines et canadiennes développent leur présence dans l'Arctique, mais cela n'équivaut pas du tout à une stratégie, que ce soit de la part des États-Unis, des États membres de l'Union européenne ou des pays de l'Atlantique Nord.

En d'autres termes, la partie russe de l'Arctique qui se réchauffe est en train de devenir un pôle d'attraction planétaire pour les grandes puissances asiatiques. Ainsi, elle accroît la puissance et le statut de la Russie et de la Chine (Jean-Michel Valantin, "La Chine arctique : Vers de nouvelles guerres du pétrole dans un Arctique en réchauffement ?”, The Red Team Analysis Society14 septembre 2020). En conséquence, une question géopolitique majeure est de savoir si les puissances occidentales ne sont pas en train de manquer leur propre "Axe de réchauffement de l'Arctique".

Le réchauffement de l'Arctique, berceau du bloc russo-asiatique

Qui développe l'Arctique ?

Comme nous l'avons expliqué dans les publications du Red Team Analysis Society, et les conférences qui s'y rapportent depuis 2014, la course notamment russe, chinoise, japonaise et indienne vers l'Arctique est à l'origine de l'émergence du bloc continental russo-asiatique.

En effet, la vaste zone économique exclusive de la Russie arctique attire les développeurs énergétiques russes et asiatiques (Jean-Michel Valantin, "Le réchauffement de l'Arctique russe : où convergent les intérêts stratégiques de la Russie et de l'Asie ?”, The Red Team Analysis Societyle 23 novembre 2016).

Les énormes ressources pétrolières, gazières, minérales et biologiques sont en train de devenir un gigantesque pôle d'attraction économique. En attendant, en raison des effets du réchauffement de l'Arctique, les autorités russes ouvrent la "route maritime du Nord".

Cette nouvelle voie maritime suit la côte sibérienne et relie le détroit de Béring à la Norvège et à l'Atlantique Nord. Ainsi, elle relie également les immenses bassins de développement économique asiatiques à l'Europe du Nord et à l'Atlantique. Dans le même temps, Moscou militarise la côte sibérienne, les archipels. Dans la même dynamique, la flotte et l'armée du Nord russe multiplient les patrouilles et les manœuvres maritimes et terrestres.

La convergence arctique de la Russie et de l'Asie

La combinaison de ces deux dynamiques est également à l'origine d'un processus d'intégration à l'échelle du continent. Elle entraîne la construction de chemins de fer, de routes fluviales et terrestres, de la Sibérie à l'Asie centrale et à la Chine. En d'autres termes, le développement de l'Arctique est l'un des moteurs du couplage de la route maritime russe du Nord avec l'initiative chinoise de ceinture et de route intercontinentale (Atle Staalesen, "Le gaz arctique trouve un nouveau chemin de Yamal à la Chine”, L'Observateur indépendant de Barents1er avril 2020).

Ce déplacement massif des sociétés asiatiques et russes vers l'Arctique indique que cette région devient également une convergence entre des États, des économies et des acteurs de valeurs, d'idéologies et de systèmes de croyance différents, c'est-à-dire la civilisation (Norbert Elias, Le processus de civilisation, vol.II, Formation de l'État et civilisation, 1982).

Ainsi, la dynamique arctique russo-asiatique n'est rien d'autre qu'une stratégie d'adaptation, au niveau des civilisations, au bouleversement planétaire du changement climatique (Jean-Michel Valantin, "Règles sur les crises planétaires, (2)“, The Red Team Analysis Societyle 15 février 2016).

Cela soulève la question de la place de l'Occident dans le nouveau "Jeu des trônes" de l'Arctique en mutation.

La non-stratégie de l'Arctique occidental

Des militaires sans stratégie

Si l'on compare la manière dont la Russie et les pays asiatiques développent l'Arctique, et les actions correspondantes des pays occidentaux, il s'avère que ces derniers restent largement passifs. Il devient de plus en plus évident que l'Europe occidentale, ainsi que les États-Unis et le Canada, ne savent pas se projeter dans cette nouvelle réalité planétaire et géopolitique.

Cette non-stratégie occidentale résulte d'une absence de réaction réelle de la plupart des pays occidentaux au réchauffement de l'Arctique (Edward Luttwak La stratégie, la logique de la guerre et de la paix, 2002). En effet, ces réactions deviennent un système géopolitique de passivité.

En fait, le type de réaction le plus visible est la constitution de forces militaires, sans aucune déclaration stratégique claire à long terme.

C'est le cas, par exemple, des exercices massifs Norvège-Islande de 2016 et 2018. Ceux-ci s'ajoutent à la multiplication des patrouilles aériennes, et à la présence croissante des navires de guerre de la marine américaine. Cette présence se fait le long des frontières aériennes et maritimes de la Russie sur la mer de Barents. La marine américaine se manifeste également par des manœuvres autour du détroit de Béring ("La marine et le corps des Marines effectuent un exercice de capacités expéditionnaires dans l'Arctique en Alaska".CPF Navy Mil3 septembre 2019").

Ce renforcement militaire naval et aérien est un moyen pour les États-Unis de s'affirmer en tant que puissance maritime. Et à ce titre, ils doivent montrer leur capacité à perturber les mouvements navals de puissances terrestres telles que la Russie et la Chine. Cependant, cette capacité ne soutient pas la définition de buts politiques et d'objectifs militaires (Luttwak, ibid). Ils ne sont rien d'autre qu'une présence qui n'a pas d'effet distinct sur les stratégies russes et asiatiques dans l'Arctique.

L'intégration occidentale aux stratégies asiatiques

L'autre catégorie d'"acteurs" de l'Arctique occidental englobe les pays qui intègrent et soutiennent les stratégies russes et chinoises. Par exemple, depuis 2014, la Chine se projette dans l'Arctique. Elle a notamment obtenu le statut de "nation proche de l'Arctique" au Conseil de l'Arctique. Dans le même temps, Pékin a fait de la "route maritime du Nord" le segment arctique de son "initiative de la ceinture et de la route".

Entre autres, le président chinois Xi Jinping fait la promotion de cette "route de la soie polaire". Entre 2014 et aujourd'hui, il a signé des accords commerciaux et technologiques bilatéraux avec l'Islande, le Groenland, le Danemark, la Finlande, la Suède et la Norvège. Dans le même temps, la Russie et la Chine multiplient les opérations commerciales, industrielles, de transport et militaires communes ( Jean-Michel Valantin, "Arctic Fusion : Stratégies convergentes entre la Russie et la Chine, 2014)”, The Red Team Analysis Societyle 23 juin 2014).

En d'autres termes, les membres mêmes du Conseil de l'Arctique, tous des pays occidentaux, à l'exception notable de la Russie, deviennent des parties prenantes et des partisans de la stratégie chinoise dans l'Arctique.

Cela signifie que, malgré une présence militaire croissante, les puissances occidentales sont des acteurs non stratégiques dans les stratégies russes et asiatiques de l'Arctique. Au mieux, elles sont des parties prenantes. En d'autres termes, la Russie, la Chine et d'autres pays asiatiques commencent à dominer le réchauffement de l'Arctique, alors que les puissances occidentales ne le font pas (Jean-Michel Valantin, "Vers une guerre entre les États-Unis et la Chine ? (1) et (2) : Tensions militaires dans l'Arctique”, The Red Team Analysis Society16 septembre 2019).

Embrasser la crise planétaire

Cependant, géographiquement, ce qui se passe actuellement dans l'Arctique signale également l'installation d'une instabilité chronique et croissante. Cette dynamique géophysique se traduit par la géopolitique. Il s'ensuit que les nouvelles politiques fusionnées de cette région sont également en constante évolution.

Il est intéressant de noter que les nations qui réagissent rapidement à cette situation sont la Russie et la Chine. Elles ont en commun d'avoir traversé des décennies de changements dramatiques et extrêmement violents.

Ce fut le cas pour la Russie et la Chine depuis le début du XXe siècle, et même depuis le milieu du XIXe siècle pour la Chine (Lucien Bianco, La Récidive, Révolution russe, révolution chinoise, 2014).

Adaptation et crise

On peut également noter que pour les systèmes de croyances asiatiques, comme le taoïsme, le monde est en perpétuel mouvement. Et lorsqu'il s'agit de la Russie, il faut se souvenir de sa résilience collective et de sa capacité d'adaptation.

Cette capacité émerge de l'expérience collective de siècles de dureté sociale, climatique et politique. Ainsi, ces sociétés héritent de l'expérience collective d'une adaptation continue, rapide et nécessaire à des conditions extrêmes (Giovanni Arrighi, Adam Smith à Pékin, 2007).

Ailleurs, les pays occidentaux ont connu un long cycle de développement social et économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce cycle s'est accompagné d'une longue période de stabilité politique. Cette expérience collective tend certainement à maintenir la stabilité. Dans la même dynamique, elle incite à rejeter les situations extrêmes qui induisent la nécessité de s'adapter rapidement (Arrighi, ibid).

Cependant, de nos jours, le changement climatique frappe le monde entier, c'est-à-dire les pays occidentaux, ainsi que la Russie et l'Asie. Dans ce contexte, la course vers l'Arctique va s'intensifier. En effet, l'accès au réchauffement de l'Arctique devient une préoccupation géo-économique majeure. En effet, au cours des prochaines années, la déstabilisation de l'Arctique va renforcer la crise climatique mondiale.

Vers un réveil occidental dans l'Arctique ?

Paradoxalement, le changement dans l'Arctique devient également un nouveau modèle pour soutenir les économies modernes. Ainsi, il peut également soutenir leur éventuelle transition vers la durabilité. En effet, cette transition, si elle se produit, nécessitera des arbitrages et des règlements sur qui fait quoi dans cette région.

Cette nouvelle réalité est un moteur très puissant pour la définition et la projection des stratégies occidentales dans l'Arctique. Ils doivent le faire afin d'installer un nouveau système de freins et de contrepoids dans cette région très instable. Il se trouve que "le toit du monde" est aussi le sommet géopolitique ultime. Vous le tenez, ou vous ne le tenez pas.

Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

Rejoindre la conversation

3 commentaires

  1. Comme toujours, ces aperçus offrent une profondeur et une perspective bienvenues sur les questions et les dynamiques mondiales en évolution. L'Occident a été lent à réagir aux investissements asiatiques dans les riches régions polaires. La question est maintenant de savoir si les nouvelles réponses seront bénéfiques pour l'avenir. Il y a quelques jours à peine, le Polar Star, un brise-glace lourd et vieillissant des garde-côtes américains, a été envoyé dans l'Arctique. https://taskandpurpose.com/news/coast-guard-icebreaker-arctic/
    En cette année difficile, le Congrès américain a finalement financé et commencé à commander de nouveaux brise-glaces lourds, et potentiellement aussi des brise-glaces moyens. Ces mesures ont été influencées par des dirigeants tels que l'amiral Thad Allen (USCG à la retraite), qui a présidé le rapport du groupe de travail indépendant du Council on Foreign Relations, intitulé "Arctic Imperatives" : Renforcer la stratégie américaine sur la quatrième côte de l'Amérique". https://www.cfr.org/report/arctic-imperatives
    L'Occident pourra-t-il faire un bond technologique et ouvrir de nouveaux fronts tels que l'espace et les énergies durables, renouvelables et efficaces qui réduiront ou élimineront la valeur stratégique de l'accent mis par l'Est sur ce domaine ? Alors que l'article souligne la capacité d'adaptation des principales nations asiatiques actuelles, la société et le capitalisme "occidentaux" se sont souvent révélés capables d'ouvrir de nouveaux fronts dans le domaine des matériaux, des ressources et des technologies stratégiques qui peuvent changer la donne de manière radicale. Mais, pour y parvenir, il faut à la fois un leadership politique et une coopération sociétale. Nous verrons...

  2. J'aimerais ajouter ce qui suit : parfois, l'élément humain peut faire une énorme différence de manière inattendue. Les bonnes personnes qui font ce qu'il faut peuvent établir la confiance et la coopération... lhttps://news.yahoo.com/junior-coastie-accidentally-bought-dinner-175810969.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly9zZWFyY2gueWFob28uY29tL3NlYXJjaD9mcj1tY2FmZWUmdHlwZT1FMjExVVM3MzlHMCZwPXVzY2crYnV5cytncmVlbmxhbmQrcHJlbWllcitkaW5uZXI&guce_referrer_sig=AQAAANTM4NpfWpuxe4egMQOaeWMiL621GWBX7gyd468t9-Zqr3psUaEQgAufXtu8HYF5Y6OMKOvMq0QrP-7-6baRclIqLdrMp5m8SNijQHu1rcCXfs2DSlSTR3TI99Xlcp4h1U1YFOqUMvwE0D24KtohZNMH5uH1BtKlz4qnBbVP10w_

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

FR